Romances et Turbulences – Brahms et Fauré
6 mai 2017 | |
19 h 30 min | |
Montréal, Canada | |
Église Saint-Albert-le-Grand des Pères dominicains | |
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Julien Patenaude, Direction musicale
André Lafrance, Direction artistique
Rosalie Asselin, piano
Marie-Ève Scarfone, piano
Conseil d’administration
Yannig Thomas, président
Michèle Séguin, vice-présidente
Yves Keller, trésorier
Romances et turbulences
Brahms et Fauré
Johannes Brahms (1833-1897)
Lieberslieder Walzer, opus 52
- Rede, Mädchen, allzu liebes
- Am Gesteine rauscht die Flut
- O die Frauen
- Wie des Abends schöne Röte
- Die grüne Hopfenranke
- Ein kleiner, hübscher Vogel
- Wohl schön bewandt war es
- Wenn so lind dein Auge mir
- Am Donaustrande
10. O wie sanft di Quelle
11. Nein, es ist nicht auszukommen
12. Schlosser auf und mache Schlösser
13. Vögelein durchrauscht die Luft
14. Sieh, wie ist die Welle klar
15. Nachtigall, sie singt so schön
16. Ein dunkeler Schacht ist Liebe
17. Nicht wandle, mein Licht
18. Es bebet das Gesträuche
Schicksalslied), opus 54 – Le chant du destin
arrangement pour chœur et piano à quatre mains par Karsten Gundermann
Entracte
Gabriel Fauré (1845-1924)
Souvenirs de Bayreuth, Fantaisie en forme de quadrille sur des thèmes de L’anneau du Niebelung (avec André Messager), pour piano à quatre mains
Pavane, opus 50, pour chœur et piano à quatre mains
Madrigal, opus 35, pour chœur et piano
Cantique de Jean Racine, opus 11, pour chœur et piano
Pleurs d’or, opus 72
Agnus Dei, extrait du Requiem, opus 48
Les djinns, opus 12, pour chœur et piano
Notes de programme
(par Dominique Boucher (soprano))
Romances et turbulences – Brahms et Fauré
Jamais peut-être avant le xixe siècle la pratique assidue de la musique n’a-t-elle été à ce point répandue. En Angleterre comme en France et en Allemagne, on a vu naître dans toutes les couches de la société des chorales et manécanteries de toutes sortes vouées au chant collectif. Le piano, quant à lui, s’est taillé une place de choix dans les salons bourgeois. Quoi d’étonnant, si l’on songe qu’à une époque où le tourne-disque et la radio restaient à inventer, l’étude du piano était pour beaucoup le meilleur moyen de s’initier à la musique des grands compositeurs ?
De fait, tout au long du siècle, l’édition musicale a été florissante, mettant à la portée des amateurs non seulement d’innombrables études et sonates, mais aussi toute une flopée de réductions pour piano à deux ou quatre mains d’œuvres autrement ambitieuses : symphonies, concertos, opéras, etc.
Dans cet effort de démocratisation de la musique, les grands compositeurs n’ont pas été en reste. Quand ils n’ont pas expressément écrit à l’intention des chœurs ou des pianistes amateurs, bien souvent, ils ont eux-mêmes remanié leurs pièces ou en ont préparé une version pour des effectifs réduits. Ce faisant, ils se sont assuré de les faire entendre non seulement dans les salles de concert, mais aussi les salons.
L’Allemand Johannes Brahms (1833-1897) incarne parfaitement cette tendance. Témoin son premier cycle de Liebeslieder Walzer (opus 52), composé vers 1868, où il met en musique des textes que le poète et philosophe Georg Friedrich Daumer (1800-1875) a réunis dans son recueil Polydora. Dans cette compilation de 1855, Daumer traduit, parfois fort librement, des chants populaires d’un peu partout où les joies et les tourments de l’amour occupent une place de choix. Brahms y trouve un matériau idéal d’où tirer une série de mélodies qui, bien que toutes s’appuient sur un rythme de valse, sont de caractère très varié. Quoique destinées le plus souvent à un quatuor vocal – parfois une voix seule ou un duo – et au piano à quatre mains, les mélodies sont ainsi conçues qu’elles peuvent de même être jouées au piano seul.
En 1871, Brahms créera à peu près en même temps que son Requiem allemand une œuvre pour chœur à voix mixte et petit orchestre : le Schicksalslied (Chant du destin), sur un intermède poétique tiré d’Hyperion, roman épistolaire du philosophe et poète allemand Friedrich Hölderlin (1770-1843). Brahms y rend avec une remarquable habileté l’opposition que dresse Hölderlin entre la félicité dont jouissent les bienheureux s’ébattant dans un « flot d’azur » – suivant la traduction d’Amédée Boutarel (1855-1924) – et les vicissitudes de la condition humaine, en proie à la souffrance et au doute. Brahms ne pourra toutefois se résoudre à conclure sur une note à ce point tragique et confiera aux seuls instruments un finale apaisé et lumineux.
Mais revenons au salon, si vous le voulez bien, avec cet amusant Souvenirs de Bayreuth pour piano à quatre mains (1880), que Gabriel Fauré (1845-1924) a composé avec son ami André Messager (1853-1929). Loin de heurter les wagnériens, il semble que ces derniers aient beaucoup goûté ces facétieuses reprises de cinq thèmes célébrissimes tirés de la Tétralogie.
La Pavane (écrite en 1887), à n’en pas douter, sera tout aussi familière à l’oreille de bien des auditeurs. On s’étonnera peut-être cependant de l’entendre ici reprise par un ensemble à quatre voix. C’est qu’il existe de Pavane deux versions, l’une pour petit orchestre, la seconde sur un poème de Robert de Montesquiou (1855-1921). Ce faisant, Fauré répondait à la demande expresse de sa mécène et dédicataire de la Pavane, la comtesse Élisabeth Greffulhe, celle-là même qui allait inspirer à Marcel Proust le personnage d’Oriane de Guermantes. Quant au Madrigal, sur un poème d’Armand Sylvestre (1837-1901), composé en 1883, il s’agit là encore d’une œuvre d’une suave ironie, cette fois pour piano et quatuor vocal.
Fauré a 19 ans à peine quand il s’attelle à ce qui sera l’une de ses œuvres phares : le Cantique de Jean Racine, pour chœur à voix mixtes et piano ou orgue. À l’époque, Fauré étudie le piano auprès de Camille Saint-Saëns à l’école Niedermeyer, établissement voué à la renaissance de la musique religieuse en France. Saint-Saëns ne doute pas des dons de son élève pour la composition et lui suggère de se présenter au concours organisé par l’école. Heureuse initiative qui vaudra à Fauré un premier prix.
En 1893, le poète Albert Samain (1858-1900) publie son recueil Au jardin de l’infante. Celui-ci a tôt fait d’attirer l’attention de la chanteuse Emma Bardac, qui ne manque pas d’en recommander la lecture à Fauré. La rencontre est fructueuse. Le musicien en tirera en effet la matière de deux mélodies, Soir (en 1894), et surtout, deux ans plus tard Pleurs d’or, ravissant duo où les voix féminine et masculine, comme en pâmoison, s’entrelacent avec une infinie délicatesse.
Comme tout le Requiem de 1887-1888, l’Agnus Dei dont il est tiré appartient à une veine presque aussi sereine, au point que d’aucuns ont parlé, pour décrire sa messe des morts, d’une « berceuse ». Fauré n’en disconvient pas, affirmant : « […] c’est ainsi que je sens la mort : comme une délivrance heureuse, une aspiration au bonheur d’au-delà, plutôt que comme un passage douloureux.»
Mais que l’on n’aille pas croire que Fauré est étranger à tout sentiment de terreur. Il faut voir avec quelle virtuosité, en 1875, il a su rendre l’atmosphère inquiétante des Djinns, tiré des Orientales (1829) de Victor Hugo (1802-1885). Le poème d’Hugo a ceci de remarquable qu’il adopte une structure en soufflet : à chaque strophe, le nombre de pieds par vers croît, puis décroît à nouveau. En écho à cette construction, Fauré recourt ici à un procédé habile. Pour décrire l’approche terrifiante des djinns, ces génies malfaisants qui traquent le narrateur, Fauré dessine un immense crescendo. À ce paroxysme répond une prière désespérée suivie d’un apaisement tout relatif. Et c’est ainsi que le chœur et le piano ramènent l’auditeur au pianissimo initial.